Je laissais ma cigarette tomber au sol et écrasais de ma botte ce qui était à présent un mégot.  Le vent souffla et je rajustais mon écharpe autour de mon cou. S’il y avait bien une chose que je détestais dans ce monde, c’était bien l’hiver. J’aurais aimé partir cet hiver mais malheureusement, je devais rester à Chicago, au cas où une nouvelle mission me serait attribuée.

Je tournai la tête sur ma droite avant de m’engager dans la ruelle. Elle était mal éclairée, peu reluisante et même effrayante pour certains. Pas pour moi. Je savais me défendre et puis, être un succube apportait de nombreux avantages. Ce n’était pas pour rien si j’étais gogo danseuse. Je tournai sur ma droite et poussai la porte délabrée du night-club. C’était la porte réservée au personnel mais j’avais déjà vu pas mal de clients la prendre. Comme si ça dérangeait réellement… Après avoir dépassé plusieurs portes, je pris ma clé et entrai dans ma loge.

Elle était plutôt simple. Un immense miroir couvrait le mur sur ma droite. Face à moi se dressait une immense penderie en acajou. Il y avait également un divan rose et quelques poufs éparpillés au grès de mes humeurs. Je laissais tomber mon sac et mon manteau sur le divan. Je me dirigeai alors vers la penderie et ouvris les portes. Cette nuit, le night-club n’imposait pas de thème ce qui signifiait que j’avais carte blanche concernant le choix de mes tenues. J’optai alors pour un soutien-gorge et un mini short noir en latex. J’enfilai des cuissardes en cuir noir puis je me dirigeai vers la salle de bains. Je regardai longuement mes yeux verts. Je battis lentement des paupières. Je me remaquillais légèrement lorsqu’on frappa à ma porte et une voix s’éleva :

« Dans dix minutes, c’est ton tour, Linoï !

- J’arrive ! Répondis-je en criant. »

Je soupirai. Je détestai que l’on vienne me chercher… Je faisais ce qui me plaisait mais allez savoir pourquoi, parfois, on venait me dire ce que je devais faire. Je rangeai mon tube de rouge à lèvres puis passais devant le miroir. J’avais bien fais d’en réclamer un aussi gigantesque. Ainsi, je pouvais vraiment me voir sous tous les angles. Satisfaite, je sortis en éteignant la lumière. Je fermai à clé derrière moi et glissai la clé dans ma cuissarde.
Batiste, un des vigiles du Black Cat, m’emmena alors dans la salle. Comme toujours, je  me dirigeai vers le podium qui avait fini par être le mien… Celui du milieu, là où tout le monde pourrait me voir. Il me prit la main et m’aida à y monter avec grâce. Une fois que les clients du night-club m’aperçurent, les habitués m’acclamèrent tandis les nouveaux s’approchèrent de mon podium avec curiosité. Je n’avais même pas besoin de diffuser mon pouvoir séducteur qu’ils s’amenaient à moi d’eux-mêmes… Ils ressemblaient à des papillons attirés par une flamme. Une flamme aussi belle que dangereuse.

Je tournais autour de la barre avant de grimper dessus. Une fois bien élevée, je  croisais les jambes autour de la barre et restais suspendue en hauteur à la force de mes cuisses. Je lâchais un cri pour encourager mes admirateurs. Et lorsque la musique se fit explosive, mon show pût alors commencer. J’exécutai des figures alliant sensualité et force. Parfois, je me laissais glisser sur la barre, tête en bas, mes cheveux tombant comme une cascade de soie noire. Toujours avec grâce, je me relevai et glissais le long de la barre jusqu’à toucher le sol. Une fois à terre, j’ondulais sensuellement mon corps, toujours contre la barre. Je m’adossais à la rambarde du podium et dansait contre elle. Mon show dura plus d’une heure.
Lorsque Batiste vint me chercher, j’étais en sueur, mes muscles étaient endoloris mais j’étais satisfaite de moi. Contrairement  à ce que certains pensaient, je faisais ce travail avec un immense plaisir. J’aimais danser devant un public. Savoir que j’étais admirée, désirée et sûrement enviée, me donnait envie de monter sur le podium chaque soir. Il me raccompagna jusqu’à ma loge, toujours aussi silencieux qu’une tombe. Il faut dire que je ne faisais pas beaucoup d’efforts pour lui arracher une parole. Lorsque j’arrivais devant ma loge, j’entrais et refermais à clé derrière moi. Je comptais prendre une douche et rien n’était plus agaçant que la peur qu’un intrus se glisse dans ma loge. Je ne voulais tuer personne, surtout pas après un show, j’étais bien trop de bonne humeur pour qu’on vienne me retirer cette joie.
Sans tarder, je me déshabillais et entrai dans la salle de bains. J’ouvris le robinet et réglai la température de l’eau. Lorsqu’elle me parut satisfaisante, je me glissais à l’intérieur. Lorsque l’eau fouetta ma peau, j’en fus d’abord irritée puis finalement, mon corps se relaxa. L’eau chaude avait un effet apaisant sur moi. Je restais de longues minutes ainsi à savourer cette délicieuse sensation avant de me savonner la peau, me débarrassant de la transpiration, du maquillage et tout ce qui pouvait me coller à la peau. Une fois que ce fut fait, je sortis de la douche en refermant les robinets. Je pris une serviette que je nouais autour de mon corps. J’en pris une deuxième et entrepris de sécher ma crinière noire.
Je sortais de la salle de bain, lorsqu’une voix lente et caverneuse résonna derrière moi :

« Très beau spectacle, Linoï… »